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Huiles essentielles, douleurs et coanalgésie aromatique

L’emploi des huiles essentielles en coanalgésie avec les traitements antalgiques conventionnels s’avère très profitable dans la prise en charge des douleurs inflammatoires aiguës ou chroniques telles que celles rencontrées dans les services de gériatrie, d’oncologie ou encore en soins palliatifs.

 Leur utilisation conjointe offre un gain d’efficacité antalgique grâce à un périmètre d’activité plus complet liée au totum moléculaire.

Au-delà des cibles pharmacologiques de chaque composé phytochimique, la multiplicité des voies possibles (cutanée, inhalée, orale…) apporte une complémentarité de leviers d’actions (locale périphérique, nerveuse via l’olfactologie, systémique).

La voie locale en associant un mélange ciblé d’huiles essentielles antidouleur à des huiles végétales anti-inflammatoires (macérats huileux de millepertuis, arnica ou calendula…) accorde une dimension supplémentaire pour potentialiser les effets.

Huiles essentielles et douleurs (2)

Facteurs responsables de l’effet antidouleur des huiles essentielles

  • L’impact du plaisir olfactif qui ajoute quelque chose en plus au soin et agit au niveau de la composante émotionnelle de la douleur
  • L‘interaction du toucher avec les fibres sensorielles de la peau qui pourrait altérer la transmission de la douleur irradiée
  • Les huiles essentielles elles-mêmes, au travers de leurs composants actifs et des actions pharmacologiques qu’ils possèdent

 

Nociception et action des huiles essentielles sur la douleur

Une panoplie de molécules aromatiques et d’huiles essentielles sont capables d’œuvrer à différents stades du processus nociceptif pour atténuer la douleur.

Parmi les leviers d’action dont dispose l’aromathérapie sont identifiés :

  •  L’action anti-inflammatoire périphérique : en stoppant l’excitation des nocicepteurs par les médiateurs de l’inflammation algogènes (prostaglandines, cytokines inflammatoires, histamine, bradykinine, monoxyde d’azote);
  • L’action anesthésiante : correspondant à une désensibilisation à la douleur par interaction avec des nocicepteurs, récepteurs canaux de la famille des TRP (« Transient  Receptor Potential » : TRPV3, TRPM8…) responsables de l’initiation du message douloureux (transduction)(1);
  •  L’inhibition de la transmission du signal douloureux : blocage des récepteurs à canaux calciques CaV;
  • La voie opioïde : passant par la stimulation de récepteurs nerveux centraux (μ, δ, κ) du système opioïde, à la façon des peptides endogènes (enképhalines, endorphines, dynorphines);
  •  La voie endocannabinoïde : dont les récepteurs sont omniprésents à tous les niveaux des voies de la douleur tant au niveau central, spinal que périphérique.
  • Modération de la sensibilité douloureuse par activité gabaergique (récepteurs GABA de type A) /sérotoninergique (récepteurs 5HT) : le GABA et la sérotonine sont modérateurs de l’intensité douloureuse perçue contrairement au glutamate et la substance P qui l’amplifient.
Huiles essentielles et douleurs (3)

Sélection (non exhaustive) d’huiles essentielles actives sur la douleur  (2), (3), (4), (5)

 

L’huile essentielle de gaulthérie couchée (Gaultheria procumbens)

Le salicylate de méthyle présent à plus de 90% dans l’huile essentielle de Gaulthérie couchée vient inhiber spécifiquement les cyclo-oxygénases COX-1 et COX-2, la synthèse des prostaglandines PGE2 et des cytokines pro-inflammatoires des macrophages (TNF-ɑ, IL-β, IL-6). Incontournable dans la prise en charge des douleurs articulaires rhumatismales et musculo-tendineuses, la gaulthérie couchée est évidemment à proscrire en cas d’allergie aux salicylés et déconseillée en cas de traitement anticoagulant concomitant.

L’huile essentielle d’eucalyptus citronné (Eucalyptus citriodora)

C’est l’ “alter égo” anti-inflammatoire de la gaulthérie, bénéficiant de moins de contre-indications. Son activité antalgique est principalement reliée au citronellal (40-80%), un aldéhyde terpénique dont on a démontré l’effet de réduction des Prostaglandines PGE2 et TNF-ɑ. Le citronellol, un alcool terpénique, plus faiblement retrouvé (3-13%) participerait aussi à l’antalgie.

L’huile essentielle de matricaire (Matricaria recutita)

Elle réunit entre autres deux composés anti-inflammatoires puissants : le chamazulène (sesquiterpène) et l’ɑ-bisabolol (sesquiterpénol). Ce dernier désensibilise les nocicepteurs de type TRPV1.

A noter : le myrcène (monoterpène concentré dans le Lentisque pistachier) ou le camphre (cétone du Romarin à camphre) exercent un effet similaire sur les récepteurs TRPV1

L’huile essentielle de lavande officinale (Lavandula angustifolia) (6), (7), (8)

En inhalation, elle réduit l’hyperalgie de douleurs neuropathiques et inflammatoires chroniques, par voie centrale médiée par les récepteurs opioïdes et cannabinoïdes de type 2. Le linalol, monoterpénol majoritaire porterait une grande partie de son effet antinociceptif.

L’huile essentielle de copahu (Copaifera officinalis)

Cette oléorésine, décongestionnante tissulaire anti-inflammatoire, est l’huile essentielle la plus riche en b-caryophyllène (plus de 50%). Ce sesquiterpène joue le rôle d’un agoniste sélectif des récepteurs cannabinoïdes de type 2, provoque un relargage périphérique de β-endorphine, activatrice des récepteurs opioïdes μ (9).

L’huile essentielle de menthe poivrée (Mentha x piperita) et de menthe des champs (Mentha arvensis) (10)

Leur forte concentration en L-menthol provoque une cryo-analgésie via les récepteurs sensoriels TRPM8, ce qui élève significativement le seuil de perception douloureuse. Son pouvoir analgésique semble aussi être en lien avec le système opioïde (récepteurs opioïdes centraux κ). Elle s’utilise par voie locale dans un roll-on par exemple dans les douleurs migraineuses ou en application pour les douleurs neuropathiques.

L’huile essentielle de thym saturéoïde (Thymus satureoides)

Le bornéol (30-40%) induit une analgésie médiée par les récepteurs sensoriels TRPM8 (11).  Le thymol procure un effet anesthésiant selon le même procédé que l’eugénol.  La présence d’un autre phénol antalgique, le carvacrol renforce l’efficacité. Tout comme le bornéol, le thymol et l’eugénol, il exerce de surcroît un rôle gabaergique modérateur de l’intensité de la sensation douloureuse (12). Le paracymene (10-20%) exerce une activité anti-inflammatoire et antinociceptive opioïde tout en bloquant les canaux calciques impliqués dans la transmission du message douloureux.

L’huile essentielle d’ylang ylang (Cananga odorata(13)

Riche en linalol, elle renferme aussi du farnésol, agoniste des récepteurs 5HT3. Le ressenti d’une fragrance agréable, fédératrice, équilibre le système neuro-végétatif ; un relâchement de l'anxiété sous-jacente peut être attendu (effet dû à l’acétate de benzyle et au benzoate de benzyle contenus dans l'HE d'Ylang–ylang). Du fait des propriétés dues aux esters puissants qu’elle contient, faire respirer l'HE d'Ylang-ylang en interdoses, à distance des injections SC de morphine chlorhydrate, assure un certain répit, même s’il est de courte durée (20 minutes environ). 

L’huile essentielle de giroflier (Eugenia caryophyllus)

L’eugénol (70-80%)  induit un blocage réversible des canaux sodiques voltage dépendants des récepteurs TRPV3 du système nerveux périphérique.

 

L’élaboration d’une synergie aromatique antidouleur ciblée permet l’avantage d’une personnalisation se basant sur toute la complémentarité riche, subtile et complexe des huiles essentielles.

Sylvain Caula, Dr en pharmacie et naturopathe, en collaboration avec APOTICARIUS®

Pour en savoir plus et développer vos compétences en aromathérapie scientifique et médicale :

 

Bibliographie :

(1)   Klein AH, Trannyguen M, Joe CL et al. Thermosensitive transient receptor potential(TRP) channel agonists and their role in mechanical, thermal and nociceptive sensations as assessed using animal models. Chemosens Percept. 2015 Aug;8(2):96-108. doi: 10.1007/s12078-015-9176-9. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21547684/

(2)   de Cássia da Silveira E Sá R, Lima TC, da Nóbrega FR et al. Analgesic-Like Activity of Essential Oil Constituents: An Update. Int J Mol Sci. 2017 Dec 9;18(12):2392. doi: 10.3390/ijms18122392. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29232831/ 

(3)   Sarmento-Neto JF, do Nascimento LG, Felipe CF et al. Analgesic Potential of Essential Oils. Molecules. 2015 Dec 23;21(1):E20. doi: 10.3390/molecules21010020. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26703556/

(4)   Tsuchiya H. Anesthetic Agents of Plant Origin: A Review of Phytochemicals with Anesthetic Activity. Molecules. 2017 Aug 18;22(8):1369. doi: 10.3390/molecules22081369. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28820497/

(5)   Assis DB, Aragão Neto HC, da Fonsêca DV et al. Antinociceptive Activity of Chemical Components of Essential Oils That Involves Docking Studies: A Review. Front Pharmacol. 2020 May 29;11:777. Doi. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32547391/ https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32547391/

(6)   Donatello NN, Emer AA, Salm DC et al. Lavandula angustifolia essential oil inhalation reduces mechanical hyperalgesia in a model of inflammatory and neuropathic pain: The involvement of opioid and cannabinoid receptors. J Neuroimmunol. 2020 Mar 15;340:577145. doi: 10.1016/j.jneuroim.2020.577145. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31945593/

(7)  Sanna MD, Les F, Lopez V et al. Lavender (Lavandula angustifolia Mill.) Essential Oil    Alleviates Neuropathic Pain in Mice With Spared Nerve Injury. Front Pharmacol. 2019 May 9;10:472. doi: 10.3389/fphar.2019.00472. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31143116/

(8)   Souto-Maior FN, Fonsêca DV, Salgado PR et al. Antinociceptive and anticonvulsant effects of the monoterpene linalool oxide. Pharm Biol. 2017 Dec;55(1):63-67. doi: 10.1080/13880209.2016.1228682. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27622736/

(9)   Fidyt K, Fiedorowicz A, Strządała L et al. β-caryophyllene and β-caryophyllene oxide-natural compounds of anticancer and analgesic properties. Cancer Med. 2016 Oct;5(10):3007-3017. doi: 10.1002/cam4.816.  https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27696789/

(10)  Liu B, Fan L, Balakrishna S et al. TRPM8 is the principal mediator of menthol-inducedanalgesia of acute and inflammatory pain. Pain. 2013 Oct;154(10):2169-2177. doi: 10.1016/j.pain.2013.06.043. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23820004/

 (11)  Wang S, Zhang D, Hu J et al. A clinical and mechanistic study of topical      borneol-induced analgesia. EMBO Mol Med. 2017 Jun;9(6):802-815. doi: 10.15252/emmm.201607300. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28396565

(12)  Miguel V, Villarreal MA, García DA. Effects of gabaergic phenols on the dynamic and structure of lipid bilayers: A molecular dynamic simulation approach. PLoS One. 2019 Jun 25;14(6):e0218042. doi: 10.1371/journal.pone.0218042. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31237897/ 

(13)  Aromathérapie scientifique : préconisations pour la pratique clinique, l'enseignement et la recherche  - Consensus d'experts destiné aux professionnels de santé et aux décideurs exerçant en milieux de soins (hospitalier ou médico-social)

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