L’impossible équation de la croissance et de la préservation des ressources
Lors du dernier congrès Phyt’arom nous avons abordé le thème du développement durable en aromathérapie. En tant qu’utilisateurs de ces précieux extraits végétaux, nous devons tous nous rendre compte de l’impact environnemental de nos pratiques personnelles et professionnelles. Voici un résumé de la table ronde, qui s’entend comme un appel à l’action.
Croissance du marché vs ressources limitées
La vente d’huiles essentielles est en constante augmentation depuis une dizaine d’année et cette tendance ne devrait pas s’inverser. La pression sur les ressources est conséquente. Contexte géopolitique, surexploitation, disparition des habitats, concurrence avec les autres espèces animales et végétales, artificialisation des sols et évidement dérèglement climatique, cela entraine une souffrance du végétal, une fragilisation des écosystèmes et une perte de biodiversité évidente. Les enjeux de sourcing (approvisionnement) sont majeurs et il est indispensable de se questionner sur nos bonnes pratiques de production, de cueillette et de consommation.
Mieux connaitre les filières d’approvisionnement
Pour accéder à une bonne qualité, transparence et traçabilité de ces matières premières, il faut déjà s’attacher à connaitre les filières d’approvisionnement : d’où vient la plante, quelle partie utilise-t-on, comment et par qui est-elle cultivée/récoltée ? Nombre d’huiles essentielles, et autres matières premières naturelles, sont produites hors d’Europe, où les pratiques et réglementations sont bien différentes des nôtres. Dans certaines régions, la culture et/ou la cueillette des plantes locales est souvent le seul moyen de subsistance des populations. Une richesse à préserver.
Il est ainsi nécessaire d’avoir connaissance de ces données pour établir des cahiers des charges exigeants mais compatibles avec les spécificités observées sur le terrain.
Le monde végétal souffre, comment faire ?
Tout partout dans le monde les artisans cueilleurs constatent que le biotope se modifie à grande vitesse. Comment sécuriser l’accès aux plantes médicinales ?
Le travail sur le terrain permet de mettre en lumière des plantes disponibles en relative abondance, et celles qui se raréfient. Le Pin d’Alep est par exemple une espèce invasive et abondante. La buplèvre ou encore l’inule visqueuse sembleraient être aussi des plantes aromatiques sources d’huiles essentielles prometteuses sur le plan thérapeutique.
Compte tenu des changements climatiques, il se pourrait qu’à plus ou moins long terme nous ne puissions plus cultiver nos plantes sur les mêmes terroirs. Mutualiser les compétences et travailler en commun avec les différents acteurs du secteur permet de réfléchir à la sauvegarde des plantes de culture et à la domestication des plantes à risque (plantes sauvages en voie d’extinction). L’adaptation des modes de cultures permet de compléter l'approvisionnement déjà existant et de limiter la pression actuelle sur de nombreuses espèces végétales.
Sécuriser la production doit s’insérer dans une démarche plus globale de prise de conscience des modèles agricoles actuels, qui émettent beaucoup de CO2 et détruisent les écosystèmes. La production d’huiles essentielles, entre autres, génère une forte empreinte carbone. Tous les acteurs des différentes filières (fournisseurs, partenaires techniques et financiers, académiques, etc.) doivent se mobiliser pour accompagner la transition vers des pratiques agroécologiques plus vertueuses (moins d'émissions carbone, plus de séquestration du carbone, moins d'utilisation d'eau, etc.).
Agir maintenant !
Modifier nos pratiques, notamment thérapeutiques, peut conduire à plus de sobriété, d’autant plus que les huiles essentielles ne peuvent pas tout. Utiliser d’autres types d’extraits de plantes, ne serait-ce que les hydrolats, contribue à réduire aussi notre emprise sur le végétal. Privilégier des achats de qualité et en petites quantités évite le gaspillage. Diluer les huiles essentielles en réduit leur consommation. Les dates de préemption sont en fait des DLUO (date limite d’utilisation optimale) : une réflexion est à mener sur le dépassement éventuel de ces dates.
Les acheteurs, associations de défense de l’environnement, industriels, syndicats et régulateurs, tous ont un rôle à jouer. Le travail collectif est capital, notamment pour faire connaitre tous les métiers de ces filières (cultivateur, cueilleur, distillateur…). Par exemple, le syndicat des SIMPLES joue un rôle majeur sur le terrain pour garantir une protection de l’environnement et une bonne qualité de production.
En conclusion : sobriété et adaptation
Sobriété et adaptation sont deux des nombreuses voix à explorer pour conserver et valoriser notre patrimoine végétal. Ces orientations à prendre doivent s’inscrire dans une démarche plus globale de la relation au vivant, via l’alimentation, l’exercice physique, la gestion des émotions, la relations aux autres… et chaque consommateur d’huiles essentielles a maintenant la responsabilité de partager autour de lui ces informations et de contribuer au déploiement de cette nouvelle vision de notre rapport au monde végétal.
Merci à Marie-Amélie de Bernouis pour la rédaction de cet article. Il reprend le contenu des partages, animés par Isabelle Sogno-Lalloz lors de la table ronde organisée pour le congrès Phytarom à Grasse. Elle était entourée de Camille Comet pharmacienne et productrice d’huiles essentielles, Christophe Cottereau herbaliste et producteur d’huiles essentielles, Nicole Bou Khalil pharmacienne et aromathérapeute et Anaëlle Evano en charge de la biodiversité chez Givaudan.
Pour en savoir plus
AFC (Association Française des cueilleurs professionnels) qui a notamment publié un très bon guide de bonnes pratiques
AIRMID: https://airmidinstitute.org/about-airmid-institute/
Liste rouge IUCN (non réglementaire) : référence globale pour connaître le statut de certaines espèces végétales et animales
CITES: https://checklist.cites.org/#/en
SYNDICAT DES SIMPLES Syndicat simples
UEBT (organisme international de promotion des filières responsables pour la biodiversité et les hommes) => également standard de certification de filières/produits
Crédits photos Les Senteurs du Claut, Boémia et Nicole Boukhalil